Discours sur l’Indopacifique par la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères [en]

Discours sur l’Indopacifique par la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères - National press club (4 décembre 2023)

Mesdames et Messieurs, chers invités, chers amis,

Bonjour à tous, je vous remercie pour votre présence.

Je tiens à remercier le National Press Club de m’accueillir aujourd’hui. C’est ma première visite officielle en Australie, et ma toute première visite en Australie, et je suis ravie d’être ici à Canberra avant de me rendre à Melbourne demain.

Je vous remercie de votre invitation et pour l’opportunité que vous m’offrez de présenter rapidement quelques-unes de nos perspectives sur la région Pacifique.

Je suis tout à fait consciente de m’exprimer à cette tribune huit mois après que ma collègue et amie, la sénatrice Penny Wong, y a prononcé son discours fondateur sur la politique étrangère de l’Australie. J’ai relu le discours de la Sénatrice sur le chemin entre la COP28 à Dubaï et l’Australie. C’était inspirant.

Le premier message que je vous adresse après l’avoir lu est simple : nos visions sont beaucoup plus proches que ce que certains peuvent penser. Nous partageons les mêmes valeurs, le même attachement au multilatéralisme, à l’ordre international fondé sur des règles ; et la même volonté de le protéger et de le promouvoir. Nous savons comment nous nous positionnons, nous savons qui sont nos amis et nous savons d’où viennent les menaces.

Dans notre monde fragmenté, alors que les crises et les défis se multiplient et que les principes fondamentaux de la Charte des Nations unies sont de moins en moins respectés, nous devons tous faire de notre mieux pour éviter les logiques de blocs. Car nous avons vu ces dynamiques par le passé et nous avons vu où elles ont mené.

Notre approche ne doit donc pas être binaire, séparant le monde entre « nous » et « eux », mais fondée sur l’inclusivité et la solidarité, profondément ancrée dans une coopération accrue entre des États pleinement souverains.

Il n’y a là rien de nouveau. C’est l’ADN de la France depuis le Général De Gaulle. La France a toujours suivi sa propre voie, en recherchant les convergences et en présentant des options à tous ses partenaires, afin qu’ils puissent choisir librement leur voie ; afin qu’ils puissent avoir la « liberté de leur souveraineté », pour citer le Président de la République. Cette liberté que nous chérissons pour nous-mêmes mais aussi pour les autres. C’est ce que nous avons fait en développant ce que nous appelons des « partenariats de souveraineté », en particulier dans l’Indopacifique, d’abord avec l’Inde, puis avec le Japon et désormais avec l’Indonésie, pour n’en citer que quelques-uns.

Notre politique étrangère est centrée sur l’édification de ponts entre partenaires : nous ne souscrivons pas à la ligne de partage artificielle entre « l’Occident et le reste du monde » ou entre un « Nord » diabolisé et un soi-disant Sud global, une expression souvent utilisée par des pays qui, soit dit en passant, ne sont plus en voie de développement et ne vivent pas dans le Sud, si je pense à la Chine ou à la Russie. Et je crois que la sénatrice Penny Wong était présente récemment au G20 lorsque notre collègue Lavrov a utilisé cette expression six ou huit fois dans son discours. Depuis, j’essaie d’éviter de parler d’un Sud global et je préfère appeler à construire des ponts.

Construire des ponts était le but du sommet organisé par la France en juin dernier à Paris en vue de l’adoption d’un nouveau pacte financier mondial.

À cet égard, nous nous réjouissons du sommet de l’APEC et de la rencontre Xi-Biden à San Francisco, qui ont apporté au monde un certain degré de stabilité dont il avait grand besoin, une possibilité de maîtriser les tensions. Il y a désormais une fenêtre d’opportunité pour une dynamique plus constructive, et je pense que l’Europe et l’Australie ont un rôle à jouer pour aider toutes les parties prenantes à en tirer le meilleur.

La construction de ponts est au cœur de notre stratégie Indopacifique.

Notre présence dans le Pacifique, comme dans l’océan Indien, fait notre spécificité en Europe. Elle nous donne une conscience accrue que nos destins sont liés.

Nous avons été le premier pays en Europe à publier une stratégie Indopacifique, annoncée ici en Australie en 2018 par le Président Macron. Nous avons ensuite contribué activement à l’élaboration de la stratégie Indopacifique de l’UE trois ans plus tard, en 2021. De même, nous avons lancé pendant notre présidence de l’UE au premier semestre 2022 le Forum ministériel Indopacifique, qui joue désormais un rôle déterminant pour l’engagement de l’UE dans la région.

Alors que nous sommes confrontés à la pire guerre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, loin de nous retirer de la région, nous restons plus que jamais engagés pour la prospérité et la sécurité de l’Indopacifique.

Depuis le mois de novembre de l’année dernière, le président Macron ne s’est pas seulement rendu en Inde, en Chine, au Japon ou en Indonésie, mais aussi dans des pays où aucun président français ne s’était rendu depuis des décennies, voire jamais : la Thaïlande, le Sri Lanka, le Bangladesh, la Mongolie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le Vanuatu. Nous ne nous contentons pas de paroles, nous passons aussi à l’acte en augmentant notre engagement dans tous les domaines.

D’abord, l’économie : plus de 200 milliards de dollars australiens ont été investis dans la région par des entreprises françaises, et l’Indopacifique représente déjà 35% du commerce extérieur de la France. Je dis « déjà » car cet investissement va bien sûr croissant.

Nous sommes en faveur des accords de libre-échange pour autant qu’ils soient équilibrés et qu’ils tiennent compte des contraintes liées au climat et des normes sociales au sein de l’UE – deux nouvelles obligations dans le cadre des réglementations européennes.

C’est pourquoi nous saluons le récent accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. Nous sommes très heureux d’avoir pu le finaliser. En ce qui concerne l’Australie, nous avons nos attentes, vous avez les vôtres. Elles ne correspondent pas tout à fait pour l’instant comme nous l’avons vu. Cela a conduit à une pause, nous appelons cela une « pause », mais nous restons pleinement engagés pour une conclusion fructueuse des négociations en cours.

Deuxièmement, le développement : La France est le quatrième bailleur de fonds bilatéral dans l’Indopacifique et nous continuons à accroître notre engagement

Troisièmement, la sécurité : 7000 militaires français sont stationnés de façon permanente dans la région Indopacifique et déploient régulièrement des moyens de premier rang pour apporter le plus rapidement possible une aide humanitaire d’urgence en cas de catastrophe naturelle. Ils contribuent également à la sécurité de la région et à garantir, comme vous le savez, la liberté de navigation, y compris dans le détroit de Taiwan.

Cela m’amène à la Chine. J’étais à Pékin il y a quelques jours et j’ai eu des discussions intenses et fructueuses avec mon homologue Wang Yi et le Premier ministre Li Qiang.

Comme vous le savez, l’ensemble de l’Union Européenne, et pas seulement la France, définit la Chine à la fois comme un partenaire, un concurrent et un rival systémique, et nous pensons que ce triptyque correspond parfaitement à notre relation complexe.

Pour nous, la nécessité d’essayer de travailler sur un agenda positif avec la Chine est plus importante que jamais. La Chine doit entendre, au plus haut niveau, que nous ne cherchons pas à entraver son essor économique, et elle doit également entendre nos préoccupations et nos attentes.

Elles sont nombreuses : la promotion par la Chine d’un potentiel ordre mondial alternatif ; les droits de l’homme, sur lesquels nos visions divergent ; les déséquilibres économiques et parfois la coercition ; un comportement de plus en plus assertif - je suis diplomate en disant assertif - dans son voisinage, menaçant parfois la sécurité de la navigation. Nous sommes bien sûr préoccupés, à cet égard, par ce qui est arrivé il y a quelques jours à la Marine australienne, et il y a quelques semaines aux Philippines.

Et puis il y a Taïwan. Sur cette question qui préoccupe le monde entier, nous envoyons à tous des messages très clairs. Premièrement, la France reste pleinement fidèle à sa politique d’une seule Chine, une politique qui a déjà 60 ans. Il n’y a absolument aucune ambiguïté à propos de notre politique d’une seule Chine. Deuxièmement, il ne doit pas y avoir de changement unilatéral du statu quo, par qui que ce soit. Et troisièmement, le calme et la stabilité doivent prévaloir dans le détroit de Taiwan. Car le monde n’a sûrement pas besoin d’une nouvelle crise.

Pour toutes ces raisons, nous continuerons à dialoguer avec la Chine de manière constructive, et des signes encourageants montrent que nos efforts portent leurs fruits en créant des tendances positives de coopération, sur des enjeux globaux telles que le changement climatique, la biodiversité, l’allègement de la dette, mais aussi sur l’économie, pour la rendre plus ouverte côté chinois et bien sûr basée sur la réciprocité, l’État de droit et les respect des règles internationales entre partenaires de l’OMC. Il y reste quelques progrès à faire comme vous le savez sans doute.

Dans l’intervalle, nous allons accélérer nos efforts pour dérisquer. Dérisquer ne signifie pas découpler.

Il s’agit de mettre en place des outils permettant de préserver l’autonomie stratégique de l’UE, tels que l’Instrument anti-coercition adopté plus tôt dans l’année. La Chine fait de même.

Notre stratégie Indopacifique n’est pas, et n’a jamais été, une approche équidistante. Loin des polémiques, elle est en fait très en phase avec votre stratégie visant à "coopérer là où nous le pouvons, être en désaccord là où nous le devons, et agir conformément à l’intérêt national".

***

Permettez-moi de développer un peu ce que cela signifie pour nous dans le Pacifique.

La France est fière d’appartenir à la famille du Pacifique. Dans le Pacifique, nous avons une population, des territoires, une immense zone économique, des intérêts. La stratégie 2050 pour le Continent Bleu du Pacifique, du Forum des Îles du Pacifique, nous sert de boussole pour contribuer à la Voie du Pacifique pour une région résiliente, libre et inclusive.

En tant que partenaire de dialogue actif du FIP, en étroite coordination avec la Nouvelle- Calédonie et la Polynésie française, toutes deux membres du FIP, la France contribuera activement à sa mise en œuvre, y compris par l’intermédiaire de la Communauté du Pacifique où nous siégeons ensemble.

Pour concrétiser cette vision d’un avenir commun dans le Pacifique, nous avons construit au fil des ans une forte présence diplomatique avec cinq ambassades, bientôt six avec l’ouverture d’une ambassade à Samoa l’année prochaine. Il s’agit donc de l’Australie bien évidemment, la Nouvelle-Zélande, le Vanuatu, les Îles Fidji, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et les Samoa.

Nous sommes déterminés à développer avec nos partenaires du Pacifique des solutions concrètes aux défis auxquels la région est confrontée et, comme je l’ai évoqué précédemment, le président Macron a passé plusieurs jours en juillet dernier dans le Pacifique Sud ; pour répondre aux défis de sécurité climatique, humaine, économique, maritime ou civile

Ce ne sont pas des paroles en l’air : le président Macron a annoncé en juillet que la France allait tripler son aide au développement dans le Pacifique, en y consacrant 333 millions de dollars australiens supplémentaires au cours des quatre prochaines années.

Permettez-moi de vous donner quelques exemples.

Tout d’abord, nos ressources contribueront directement à la priorité numéro un de la stratégie 2050 : la lutte contre le changement climatique et ses conséquences désastreuses.

En 2021, la France a lancé l’initiative KIWA. L’Australie l’a rejointe, tout comme la Nouvelle- Zélande, le Canada et l’Union européenne. Elle a déjà permis de lever plus de 127 millions de dollars australiens pour aider les États du Pacifique à s’adapter au changement climatique, accroître leur résilience et protéger leur biodiversité grâce à des solutions fondées sur la nature, définies et mises en œuvre avec et par les communautés.

En toute logique, lorsque nous avons entendu parler d’un Partenariat pour le Pacifique Bleu visant à créer des synergies et à éviter les doublons, nous nous sommes demandé si cette initiative pourrait être prise en compte. Nous nous posons toujours la question.

Il en va de même pour le renforcement des capacités de résilience face au changement climatique. La réponse directe de la France s’articule autour de deux projets phares, visant à détecter et à atténuer les événements météorologiques extrêmes ainsi qu’à améliorer l’analyse climatique. Là encore, de nombreux partenaires sont impliqués.

Nous venons de lancer avant-hier à Dubaï, avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée, un partenariat pour la préservation des forêts, en coopération avec l’Australie et l’UE, pour un montant initial de 100 millions de dollars. Nous avons également travaillé à la rénovation et au verdissement des ports dans les États insulaires du Pacifique, comme à Rabaul en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en collaboration avec l’Australie et l’UE.

Je voudrais également souligner le fort engagement de la France en faveur de l’aide humanitaire d’urgence en cas de catastrophe naturelle dans le Pacifique avec ses partenaires australiens et néo-zélandais, par le biais du mécanisme de coordination FRANZ, qui s’est avéré tellement utile au cours de ses 30 années d’existence. L’exemple le plus récent est celui du Vanuatu, en octobre, avec le cyclone tropical Lola. Mais il y en a eu beaucoup d’autres et il y en aura sans doute encore.

A cet égard, nous sommes tout à fait disposés à travailler toujours davantage avec les États insulaires du Pacifique, pas seulement pour eux. C’est pourquoi nous contribuerons également, à hauteur de 1,7 million de dollars australiens par an, au programme de stocks humanitaires prépositionnés dans le Pacifique piloté par l’Australie.

En juillet dernier, le président Macron a réaffirmé l’engagement de la France en matière de sécurité maritime. Nous renforçons la coopération déjà engagée avec les partenaires du Pacific Quad, ainsi que notre soutien aux États du Pacifique pour la surveillance de leur domaine maritime.

Le président Macron a également annoncé en juillet la création d’une Académie du Pacifique basée à Nouméa qui contribuera à la formation des personnels civils et militaires, en mettant l’accent sur l’aide humanitaire d’urgence et la sécurité civile. Cette académie entend jouer collectif, et sera donc ouverte à l’ensemble de la région.

Nous travaillons également sur la mobilité des étudiants, en collaboration avec les universités du Pacifique Sud, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française.

Enfin, le programme CRIMARIO de l’UE sur la surveillance du domaine maritime sera étendu au Pacifique Sud, pour lutter contre la pêche illégale et la pollution marine. Nous espérons travailler dans ce cadre avec l’Australie et des organismes tels que le Pacific Fusion Center et l’Agence des pêches du PIF, afin de garantir la valeur ajoutée de ce programme.

Toutes ces initiatives sont discutées en ce moment même à Nouméa dans le cadre de la Réunion des ministres de la défense du Pacifique Sud présidée par mon collègue Sébastien Lecornu, ministre français des Armées, avec la participation de votre Premier ministre adjoint et ministre de la Défense, Richard Marles.

Nous avons donc un 2+2 en stéréo entre l’Australie et la Nouvelle-Calédonie, moins d’un an après le 2+2 en présentiel en janvier dernier à Paris avec Richard Marles et Penny Wong. Nous étions alors convenus que notre relation devait suivre deux axes qui sont liés : la lutte contre le changement climatique et le Pacifique. Et nous l’avons fait.

Au cours des 18 derniers mois, depuis la première rencontre entre le Premier ministre nouvellement élu Anthony Albanese et le Président Emmanuel Macron, ou 17 mois si j’en juge par ma première rencontre avec la sénatrice Wong, nous avons travaillé sur une feuille de route ambitieuse pour les années à venir, autour d’un ensemble de projets concrets, entièrement financés et prêts à être mis en œuvre. Penny et moi adopterons cette feuille de route plus tard dans la journée. Je suis vraiment ravie que notre dur labeur ait permis d’atteindre ce résultat.

***

Mesdames et Messieurs, je termine ici mon intervention, mais soyez assurés que je crois profondément au potentiel de notre partenariat. Nous ne partons pas de si bas. Nous avons réellement renforcé la coopération au cours des dernières années et il y a un immense potentiel à exploiter. Je suis venue devant vous porter un message d’engagement pour la région et un message d’ambition pour l’avenir de la relation franco-australienne.

Dans ce monde difficile, je le répète, nous avons besoin de partenaires, nous avons besoin que les pays affinitaires coopèrent plus encore, et nous devons plus que jamais faire preuve d’audace, d’ambition, et nous serrer les coudes. Dans le véritable esprit du « mateship » australien.

Merci de votre attention.

Dernière modification : 06/12/2023

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